LETTRES DE SYRIE ....Joumana MAAROUF...



15 mars 2012

Bonsoir !

Il m’a fallu beaucoup de temps, ce matin, pour me décider à aller au travail. Comme tu sais j’ai trois enfants, et j’ai besoin de mon salaire. Ils ont bien de la chance, ceux qui n’ont pas de progéniture. Ils n’ont pas besoin de s’humilier, parce qu’ils n'ont peur que pour eux. Ce qui m’a permis de trancher, c’est que je me suis donné pour mission d’être un témoin fiable de ce qui se passe ici. Ca n'a pas été très dur d’aller à Damas. Mais le retour à la maison a été extrêmement difficile, tu l’imagines, en raison de la "démonstration de soutien général", comme ils disent. Le chauffeur du service, qui nous avait réclamé le triple du tarif habituel, changeait de route chaque fois qu’il tombait sur un barrage improvisé des services de sécurité. Il lui fallait rebrousser chemin. On a passé plus d’une heure et demie à essayer de sortir de Damas. Le seul trajet possible vers la banlieue où j’habite était la "route du palais", comme on l’appelle. Un vieux monsieur, assis en face de moi, a crié au chauffeur : « Arrête-toi ! Arrête-toi s’il te plaît, il faut que j’aille aux toilettes ». Mais le chauffeur du service, qui savait qu'il était totalement interdit de s’arrêter sur cette route, a refusé. Le vieil homme a continué de le supplier. Tous les passagers se sont tus, et la peur est apparue sur les visages, comme s’ils étaient tous saisis à leur tour d’une envie pressante. Certains ont commencé à insister auprès du chauffeur pour qu’il s’arrête. Mais celui-ci a répondu avec le plus grand sérieux : « Mon cher ami, soulage-toi dans la voiture si tu veux, mais ne me demande pas de m’arrêter. Je te le jure, ils vont me pourrir la vie »… L’homme était sur le point d’exploser quand on est sorti de la « zone interdite ». Il est alors descendu... et il n'est jamais remonté.

Quand on dit que les démonstrations de soutien ne sont pas spontanées, c’est vrai. Mais quand on dit qu’on y conduit les employés de force, ce n’est pas tout à fait exact. Il y en a qui y sont contraints. Mais, à peine arrivés sur la place, ils abandonnent le rassemblement. En revanche, il y a des milliers de partisans du régime, que j’ai vus arriver à pieds de toutes les directions. Ceux-là n’avaient pas l’air d'être obligés… Je les ai vus porter des drapeaux à l’effigie du président. Je les ai entendus scander : « Chabbiha pour l’éternité, pour Assad notre bien-aimé ! »

Oùqu’on regarde aujourd’hui dans les rues de Damas, on voit des barrages des forces de sécurité, et des hommes armés, en civil ou en tenue militaire, debout, côte à côte avec la police. Ils ont des fusils terrifiants. Ils portent autour de la taille des ceintures pleines de cartouches. Ils traitent les gens grossièrement. Tout au long du trajet, je me suis dit en moi-même ce qui ne m’avait jamais paru aussi clair qu’aujourd’hui : « C’est la guerre, prépare-toi au pire ». Oui, c’est la guerre, et rien ne peut me soustraire à elle que de t’écrire.

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